Procès Bod Denard - 1er au 4 mai 1999 |
Bob Denard, le "chien de guerre"
By Claude Canellas
BORDEAUX, 2 mai (AP)- Dans le monde secret des mercenaires, Bob Denard, 70 ans, est devenu une sorte de légende, un "corsaire de la République" tombé pour ne pas avoir compris que le temps des "affreux" était révolu. Pendant 30 ans, le "vieux soldat" a baroudé de l'Indochine au Maroc et du Yémen au Katanga en épousant l'histoire parallèle de la décolonisation, dont il est sans doute l'un des meilleurs connaisseurs. Pour beaucoup, Bob Denard aurait pu être un personnage de Kipling ou de son ami Pierre Schoendoerffer, le cinéaste de "Crabe Tambour". "C'est sans doute de mon père, Léonce Denard, que me vint le goût du voyage et de l'aventure", a-t-il écrit. Fils d'un militaire de l'armée coloniale né dans la presqu'île du Médoc, en Gironde, et neveu de marin, Bob Denard a été séduit très tôt par le combat clandestin de son père contre l'occupant nazi ou par ses récits de batailles lointaines. Il rejoint la Royale après la Libération et se porte volontaire pour l'Extrême-Orient et l'Indochine, où le matelot se fait les dents. Sur son petit bateau armé d'une mitrailleuse, Bob Denard croise un jour le fameux Crabe Tambour mais sa carrière militaire française s'arrête prématurément dans un bar, où il participe à une bagarre et se voit infliger 60 jours de prison. La Royale ne veut plus de lui mais qu'importe, il rencontre des personnages influents en 1958 et devient policier au Maroc, où il se spécialise dans la lutte antiterroriste. Il est ensuite mêlé à une affaire trouble de tentative d'attentat contre Pierre Mendès-France, le président du Conseil, mais est acquitté en cour d'assises. "Des fourmis dans les jambes"
Un jour se septembre 1960, il ramasse un journal, l'Aurore, dans les toilettes d'un café, et lit un article sur le Katanga, notamment sur le mercenaire français Antoine de Saint-Paul. Sa décision est prise: il ira là-bas. Ses amis de 1958 le mettent alors en relation avec des proches du pouvoir gaulliste et il entre comme en religion dans les réseaux Foccart. Tout s'enchaîne très vite: commando au Katanga pour défendre le pouvoir, guerillero au Yemen contre les Egyptiens, enrôlé dans l'armée de Mobutu au Congo, impliqué dans la guerre du Biafra, on le retrouve au service d'Omar Bongo au Gabon. Souvent au profit des services secrets, comme l'a récemment confirmé un responsable gaulliste, parfois pour son propre compte, Bob Denard écume l'Afrique, sa vraie passion. "Je n'ai jamais été un agent des services (secrets) mais j'ai souvent et longtemps travaillé pour eux", a-t-il confié au Figaro Magazine, auquel il a révélé le nom de quelques uns de ses officiers traitants.
Les années passent et Robert Denard reste le spécialiste des coups tordus et des guérillas lointaines. On le voit en Libye, au Kurdistan, et, en 1975, il lance sa première opération aux Comores. Un archipel qui le séduit au point d'en adopter la nationalité, de se convertir à l'islam et d'y prendre épouse. Il fait un crochet par le Bénin en 1977 où il tente de renverser le pouvoir, ce qui lui vaudra plus tard d'être condamné à de la prison avec sursis, mais c'est aux Comores qu'il revient. Après avoir installé au pouvoir Ahmed Abdallah, il fait le lit de son successeur, avant de le renverser et de se mettre à nouveau au service d'Abdallah jusqu'à son assassinat, qui lui vaut aujourd'hui de comparaître devant la cour d'assises. Il quitte les Comores en novembre 1989 pour l'Afrique du Sud puis rentre au pays en 1993, las d'attendre un règlement à l'amiable avec l'Etat français. Dans son village de Grayan-L'Hôpital qui lui réserve un accueil de président de la République, le "chien de guerre" vient de prendre sa retraite. Tout au moins le croit-on. Désormais homme d'affaires appliqué à faire fructifier son passé, il a des fourmis dans les jambes. Le retour dans les coulisses du pouvoir de certains de ses amis avec l'élection de Jacques Chirac en 1995 lui donne des ailes.
Et le voilà reparti à Moroni pour un baroud d'honneur. Une nouvelle tentative de coup d'Etat échoue. Il se rend aux parachutistes français. Depuis, Bob Denard a fondé une entreprise de sécurité, tiré un livre de ses aventures - "Le corsaire de la République" - ouvert un site sur internet, participé à des documentaires télévisés. Tout pour lui est l'occasion de plaider sa cause, de se décrire comme un homme d'honneur qui n'a jamais joué les affreux pour servir des régimes illégitimes. Le procès qui s'ouvre mardi devrait être une nouvelle tribune qu'il compte bien exploiter.